Seule au monde

Seule au monde

C’est étrange, oui, et c’est sans doute la première fois dans ma vie, de ne ressentir strictement rien pour personne. C’est reposant. Je sais que j’ai passé ma vie à être amoureuse. Sans pause, l’un chassait l’autre, l’un ne sortait de ma tête que lorsque l’autre y pénétrait. Pas des petites choses de rien du tout : tomber amoureuse, vouloir faire sa vie avec, à chaque fois. Et peu importe à qui la faute, à la lâcheté des hommes ou à mon empressement. J’ai aussi été aimée, pas à chaque fois mais plein de fois et je le crois sincèrement et profondément. Jamais ces deux réalités (aimer, être aimée) ne se sont synchronisées dans une histoire concrète et durable.

Aujourd’hui, rien, le même rien que l’on ressent face au ciel quand on est athée, une sorte de chose ni noire ni lumineuse, ni colorée ni blanche, ni solide ni liquide, ni formée ni informe, une absence, quelque chose comme ça mais pas au sens d’un manque. La musique, l’écriture et ma thermos de tisane, mes balades dans ma ville, mes bons petits repas, mes amis, mes bonnes habitudes écologiques, mes vingt-cinq abdominaux du matin, mon bon sommeil, rien que tout ça qui fait du bien.

Pas de gloire et pas de souffrance associée au « pas de gloire » : le plaisir de vivre, aussi pur que précieux. Des convictions maintenant ancrées, disons suffisamment claires pour aller dans la vie, les faire vivre au vent : vent bon, vent mauvais, vent clément, vent en plein visage, vent de dos, de côté, des deux côtés, vent chaud, vent froid, vent doux… Sans certitudes, sans dogmes autres que les fétus de paille que tissent mes propres mots. Ouverte, bien sûr, comme toujours, comme depuis toujours, mais raisonnablement ouverte, comme une porte qui permet tout à fait de passer mais qui peut aussi se fermer et à triple tour si besoin.

Vide et heureuse du vide : c’est ça être une femme, c’est accepter le vide et c’est ça aussi être un homme peut-être, à certains sens que l’on donne au mot « homme », celui de « tu seras un homme mon fils » de Rudyard Kipling mais certainement pas au sens de « mon homme » de Mistinguett, précisément parce que l’homme de Mistinguett n’a pas accepté le vide et parce que les autres ne nous appartiennent pas. C’est accepter cela accepter le vide.

Lacan, « il n’y a pas de rapport de sexuel ». Et pas d’amour autre que celui qui se donne à et celui qui se reçoit de… un être bien séparé.

Seule, vide, heureuse, donc.

Et sage, comme une image et comme un philosophe.