Les bijoux ciselés

Les bijoux ciselés
Fantaisie joaillière

I- Matériaux

Une perle

Voici un trésor de la mer qui émerge d’une glue dégoutante et drolatique.
La petite sphère s’y polit, s’en extrait, s’y sèche, s’y durcit, elle prend son étonnante et
parfaite forme, sa couleur changeante, sa stupéfiante matière. Et la beauté même naît d’un genre de crachat.
Le couteau la sépare de son chaos originel. Un couteau bien précis qui sait trancher le pied
de l’humide matrice.
Envole-toi, bulle solide, vas t’assoir sur un cou. Tu y libèreras ton discret parfum dont
finalement on ne sait rien. Envole toi plume ronde, douceur de l’eau, fleur de la mer. Vas
dans le monde, cache tes amertumes et tache de faire croire à ta délicatesse !

Une pépite

Il faut croire que les plus percutantes beautés se cachent soigneusement. Ainsi pour
posséder une pépite et en faire un bijou, encore faut-il au préalable avoir mis à jour sa
précieuse existence.
A genou dans le fleuve, armé d’un instrument quelconque les plus experts et les plus
techniciens s’y cassent parfois le nez. En effet, c’est souvent le hasard qui préside aux
fastueuses naissances de ces morceaux choisis de roche. C’est souvent au détour d’une
vague imprévue que vient au monde l’élite minérale.

La pierre semi-précieuse

Au cénacle des grandes brillances, il en est une qui a un peu de peine : la pierre semi-
précieuse souffre cruellement d’un manque de reconnaissance.
Avec un peu de complaisance, on l’autorise parfois à figurer dans les catalogues des
joailleries mais elle préfèrerait ne pas avoir à demander l’aumône et intégrer le club
restreint des princesses d’orfèvrerie.
Héroïne un peu morne des classes moyennes, elle a cependant sa petite fierté de matériau
brut qu’elle n’hésite pas à promouvoir.
En un mot, la pierre semi-précieuse est un être ambigu, aussi sympathique que la joie
sincère d’une femme du peuple qui a réussi et aussi antipathique que la bruyante vantardise d’une bourgeoise parvenue.

Le diamant

Un incendie d’écumes durcies fait de lui le roi des couronnes. Pointé, agressif, offrant ses
miroirs aux yeux fascinés et ses angles acérés aux doigts interdits, le diamant est presque
beau comme un Dieu et son cœur infini.
Il n’orne pas, il trône et c’est sacrilège de dire qu’il est « joli », cela non seulement le vexerait mais lui ferait aussi sans doute perdre toute contenance. Ses surfaces se terniraient, ses arrêtes se fronceraient et sa colère serait terrible et sans doute un peu sainte. Il ne supporterait pas non plus que l’on joue avec lui, même s’il avait le beau rôle. Il appelle plus que le respect, mieux que l’admiration, il appelle une adoration exemplaire.
Peut-être cependant oublions-nous que parfois cette matière exceptionnelle se présente
sous forme d’éclats ? Peut-être oublions-nous que parfois des fragments de ce séducteur
implacable se contentent de rehausser une demoiselle un peu timide ? Peut-être le
considérons-nous comme un grand solitaire alors que dans certains débordements de luxe, il se démultiplie en foule ?
Peut-être avons-nous trop isolé ce Dieu des feux glacés et faudrait-il le rendre à sa mine
première, à son frère le verre, aux mains qu’il a écorché pour naître, aux vies qu’il a perdues, aux hommes qu’il a rendu fous, aux femmes qu’il a fini par aigrir ? Et lui demander aussi de devenir tout juste un roi de conte. Cela adoucirait sa superbe et c’est toujours plaisant de sentir que les grandes raideurs peuvent aussi fléchir.

Le saphir, le rubis et l’émeraude

Fantastiques condensés, chacun porte en lui un océan, une terre vierge, une planète
inconnue.
Le saphir tombe sur lui-même vers les profondeurs ; le rubis rejaillit sur le monde et lui lance des regards d’orgueil et d’audace ; l’émeraude enveloppe les cœurs et berce les petits.
Trio plus essentiel que l’arc, leur musique est un chant universel que l’on entend là-haut.
Une encre fluide coule de leur centre et plonge dans les yeux comme une cascade inversée
ou un geyser affaibli. Ils sont la couleur sombre du soir qui vient, des moments solennels,
des désirs fulgurants et des pensées importantes. Ils sont le signe d’une extinction et d’un
renouveau. Ils sont le paradis des symboles, et l’origine et l’horizon.

Le verre

Personne bizarrement ne pense à le couvrir de son mépris : le verre est un peu froid mais
étonnement jovial sans doute parce que potentiellement multicolore.
Son origine sableuse allège par ailleurs un aspect trivial et le rend poétique. Car le verre est forgé par la main de l’homme. Il est bel et bien une créature, une chose faite, une chose cuite, l’émanation d’un progrès, le résultat d’un tâtonnement : il existe comme un humble miracle de même que les autres alliages qui sont comme la famille des fabuleux mélanges dont il est la petite sœur clandestinement transparente.
On le module, on le presse, on le coupe, on le fend, on le gonfle : il obéit aux désirs. On le
modèle, on le perce, on ne le touche pas mais on le touche quand même. Puis il durcit, perd sa malléabilité et l’on souhaiterait qu’il devienne éternel.
Mais quoi de plus beau qu’un bijou de verre qui expose ses matières friables aux périls des
transports de la vie !

II- Caractères

Le médaillon

Triste Sire pendant penaud au bas d’une chaine, le médaillon est toujours un peu lourd, de
poids et de sens. On y enferme un fragment d’identité, un peu d’histoire, quelques images
ou un petit drapeau. Quelque chose de soi ou de ce que l’on croit être.
Il est ce qui émerge du mensonge que nous nous tissons  et il est rare que l’on se le
choisisse. Souvent on en hérite et l’on s’accroche à ce radeau de sens pour figurer un peu
dans l’océan tempétueux de la vie en société, et l’on cherche peut-être à paraitre en croyant faire son devoir.
Un cou nu ou un cou orné est plus beau qu’un cou revendicatif. Aveuglante vérité de
l’absence : vivons sans terre mais nourrissons intérieurement nos souvenirs, vivons dans le temps. Vivons dans le vent. Et ne parlons plus à n’importe qui de nos secrets intimes.

Le bijou de famille

Grand ambassadeur, il préside aux solennelles négociations générationnelles. Objet de
convoitise, enjeu émotionnel, si l’on désire le posséder, c’est rarement parce qu’il vaut de
l’or. On cherche plutôt à s’approprier un statut de vedette.
Mais oublions sa fonction. Le bijou de famille n’est pas n’importe qui. C’est un aristocrate
déchu mais dont les valeurs morales continuent à faire loi. Son écrin s’est depuis longtemps perdu : il avance nu dans le temps et rayonne sans émettre d’ondes comme s’il avait appris à garder les secrets et leur poids se déposent dans les pierres vieillies dont l’éclat est semblable aux reflets des yeux sages.
En fin de compte, il est évidemment, le grand héros unique du bestiaire doré et trône dans la boite au creux d’une rainure que l’on a précautionneusement élue pour le recueillir.

Le bijou en toc

Pauvre diable aux écailles de bois, de pétrole, de ferraille, aux remous mal rebondis, prince chinois du kitch, héros burlesque, petite ancre de sel, agencement précaire, amoncellement de formes ressemblantes, mobiles accrochés : aimons la pacotille ! Chérissons la marmaille clinquante ! Adorons les jolis bouts de rien !
Passagers clandestins, feux artificiels, pétales d’une plante étrangement rigide et molle.
Louons les éclats de cette réputée médiocrité et nous serons surpris par les sommets de
grâce qu’elle pourra atteindre !

La bague de fiançailles

Jeune femme.
Pleine de mots doux, de promesses et de délicatesses.
Gracieuse amie du temps passé ensemble.
Délicieux serment pas encore accompli.
Délicieux désir pas encore assouvi.
Joli met raffiné, aube rosée et luxuriante, goutte vivante et animée.
Elle danse sur le doigt. Elle dit son nom à peine et c’est comme une rivière jaillie d’une
source introuvable. Ses yeux aux mille facettes vous regardent chavirés. C’est la joie dans un bout de soleil ou de lune, un horizon qui se dessine, une esquisse du temps.

L’alliance

Elle a la simplicité de l’Anneau et la fragilité du Lien mais sa matière inaltérable la protège
des ruptures. Seule sur la main, c’est bien mieux. On pourrait penser qu’elle la coupe mais
en vérité elle la lave et la met à l’abri.
Elle est une prêtresse, une vestale et une prophétesse. Elle arrête le Temps et lui dit bien des choses, elle le transpose et l’élargit. Elle scelle mais ne fige pas, en quelque sorte, elle rêve.
Incroyablement là, incroyablement loin.
Elle est une sainte qui dit toujours oui à une seule existence, une enfant bercée de
transcendance.
Elle a deux ailes.

Le bijou d’enfant

Avec beaucoup de soin, les enfants observent les breloques, petits bouffons joyeux.
Sans doute lisent-ils dans ces objets futiles l’espérance de devenir aussi beaux que leurs
parents ou bien pensent-ils profondément à ce que sera plus tard leur vie et ces dérisions
cristallisées servent de support à une rêverie sublime.
Perdre un bracelet rose ou une bague plastique est un grand drame car ils ont fait tomber
dans la mer du temps un brin d’eux-mêmes, un peu d’amour.
Grandis, ils s’accrochent à ces clefs qui leur ouvrent les portes des délicieux songes et
désirent reconquérir un peu de cette poésie qu’ils avaient égarée dans un flux pour eux alors trop puissant. Ils veulent retrouver un bout de leur éternité.

III- Ornements

La montre

Tristesse mathématique
Seule au monde
A compter
A dire… l’heure.
Tristesse d’argent
Seule au bras
Sans parler… du temps.
Jamais
Muette
Tristesse utile
Amie des journées
Ennemie de l’infini des nuits.
La broche
Pique tissu.
Aiguille
Pique.
Pour te montrer
Tu piques
Epine.
Rose.
Pour te montrer tu perces
Aiguille
Tissu
De Roches
De Fer
Minéral
Tissu
Tapis montagneux

Le collier

Quelques merveilles dansent. S’accrochent. S’appuient. Se posent.
S’abritent. Nichent. Dorment.
Logent. Se déploient. Joue une mélodie de piano.
S’offrent.
Savent se taire.

Les boucles d’oreille

Clefs de sol, de fa, de mi, en la et presque en do.
Clefs des songes, des aubaines, des chansons, des poèmes.
Clefs des ombres, des nombres, des formes.
Clefs des hommes.

Le bracelet

Se dépouiller de tout.
Dépouillez-vous.
Restez nus et le bras enlacé
Dans la magie du cercle.
Ne laissez pas les autres
Vous convaincre
Restez nus, restez seuls
Mais le bras enlacé.
Ne criez plus, dites.
Mangez le temps
Et soyez purs.
Observez le vide
Qui sépare
Le bras du bracelet
Soyez nus, enlacés, dans la magie du cercle.

La parure

Tu mimes
Tu résonnes
Tu cries
Tu pardonnes
Tu pleures
Je pleure
Tu ris
Je ris
Tu ne dis rien
Je parle
Tu chuchotes
J’entends.
Nous vibrons ensemble, comme une parure.

(printemps 2012)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s